Une cousinade est toujours un grand moment dans une famille et l'occasion, pour le CDHF et Denis Dubich, de revenir sur l'histoire d'une vieille lignée.
Les plus fidèles des lecteurs de cette rubrique se souviendront sans doute que Doris Freytag, la dynamique adjointe d'André Ganter, a déjà consacré une notice aux Weinzaepflen en 1995. Entre-temps, la recherche a progressé et les membres de cette vieille famille alsacienne ont pu rajouter quelques ancêtres au niveau des racines de leur arbre généalogique. Ces nouveautés, ainsi que les retrouvailles du 7 mai prochain des Weinzaepflen alsaciens et de leurs cousins américains, méritaient bien une nouvelle étude. C'est à Denis Ingold que l'on doit la découverte qui a permis de s'assurer définitivement de l'ancienneté de la lignée en Alsace : avec le repérage de Heintze Winzepfelin, dès 1395 à Uffholtz, la famille a l'assurance de compter parmi les plus anciennes de Haute-Alsace, d'autant que cette mention est suivie d'autres entre 1460 et 1591, ce qui prouve la continuité de la souche. En 1619 aussi, Martin Meyer, bourgeois de Cernay, vend des biens à Bernhard Weinzaepflen, d'Uffholtz.
Uffholtz et Ungersheim
Quiconque pense au patronyme Weinzaepflen, songe aussitôt à Ungersheim. Et il est vrai que la famille vit là depuis des siècles. Dans un acte de vente de 1499, nous trouvons la mention de deux hommes d'Uffholtz et de Hans Weinzaepflen, bourgeois d'Ungersheim, tous trois vendeurs d'un pré. Dès lors, il devient, pour ainsi dire, certain que les Weinzaepflen d'Ungersheim appartiennent bien à cette souche très ancienne d'Uffholtz. On peut penser que Hans était le premier membre de la famille à s'établir à Ungersheim et que ce pré, trop éloigné, ne lui servait plus : une bonne raison de le vendre au prévôt de Soultz… et, en entrant ainsi, sans s'en douter, à la veille du XVIe siècle dans la « petite » histoire, de nous permettre de suivre son itinéraire d'un village à l'autre. Il n'est certes pas aisé de démontrer que ce Hans de 1499 est aux origines de la branche d'Ungersheim, mais son patronyme est tellement rare que cela ne se discute guère. Il est d'autant plus permis de le tenir pour l'ancêtre de toute la famille Weinzaepflen actuelle, que sa descendance est citée à plusieurs occasions au cours du XVIe siècle : Steffan Winzepfflin tenait des terres de l'Ordre de Malte de Soultz entre 1552 et 1555, suivi d'Arbogast, imposé en 1580 et décédé en 1585, puis de Ludwig, censitaire en 1587 pour les mêmes terres que ses deux prédécesseurs : on peut dès lors entrevoir assez logiquement un lien filial entre ces trois générations d'hommes. Cependant, d'autres membres de la famille, potentiels ancêtres, ont pu exister au XVIe sans être pour autant mentionnés comme tenanciers de terres ; leur découverte reste peut-être à faire dans quelque vieux censier…
Le débitant de vin
À partir de 1584, les registres paroissiaux d'Ungersheim, remarquablement anciens et complets, permettent d'établir une filiation plus certaine, ledit Arbogast se trouvant à la base de la souche et valant comme l'ancêtre de tous les Weinzaepflen d'aujourd'hui. Ceux-là même qui vont se retrouver, comme ils le font tous les cinq ans, et peut-être bien autour d'un bon vin d'Alsace… Avant de poursuivre, justement, arrêtons-nous quelques instants sur l'étymologie de ce patronyme : plutôt que de désigner un bouchon (« Zapfen »), le « Weinzapf » était au Moyen Âge le débitant de vin. Le verbe « zapfen », quoique dans un rapport évident avec cet objet fait d'écorce, signifiait en effet « tirer le vin ». Pour désigner cette profession de cabaretier, on trouve aussi « Weinschenk » (de « schenken », verser, servir à boire). Rien à voir, donc, avec l'objet (le bouchon et, moins encore, le petit robinet du tonneau appelé chantepleure ou « Zapfhahn ») : les Weinzaepflen avaient sans nul doute un cabaretier ou débitant de vin pour ancêtre (un « Weinzapf » ou « Weinzapfer » devenu, par affection ou facétie, « Weinzäpflen » au diminutif), profession que l'un des leurs exerçait d'ailleurs encore à Ungersheim, il y a peu de temps !
Les cousins d'Ungersheim
Il va sans dire que depuis leur arrivée à Ungersheim, les Weinzaepflen se sont unis avec toutes les anciennes familles locales ou des environs. On ne compte pas les unions avec les Rantz, Richart (fin XVIe), Geiller (1605), Baumann (1641), Bischoff, du Tyrol (1671), Salomon, de Bollwiller (1671), Dubich (1681), Pfeffer (1705), Schneider, de Soultz (1710), Vetter, d'Ensisheim (1711), Holder et Schrapf (1715), Bohrer, de Landser (1732), Bruntz (1740), Strubel, d'Issenheim (1745), Moyses (1748), Conrad (1750), Meyer (1759), Schermesser, de Raedersheim (1800)… D'ailleurs, il est bon de se souvenir que les patronymes étaient très fluctuants : les registres paroissiaux d'Ungersheim, entre 1584 et 1800, registres informatisés par Jean-Paul Spiegel, permettent de relever les graphies Weinzäpfl, Weinzepfl, Weinzepflin, Weinzaepfler, Weinzäpfle, Weinzephl, Weinzepfeln, Weinzäpflen, Weinzoepfl, Weinzoepfle, Weinzäpffler…
Les homonymes suisses…
Nos Weinzaepflen alsaciens, puis américains, ne sont cependant pas les seuls porteurs de ce nom : dès le XVe siècle, une famille Weinzapf ou Weinzaepfli (donc là aussi avec diminutif) est connue dans les Grisons où elle est bourgeoise de Fellers. Cette souche a d'ailleurs donné d'importants hommes politiques, dont Hans, « Landrichter » (juge de son district) de 1425 à 1455 et représentant de la « Ligne Grise » dans les négociations après la guerre de Schams en 1452. Le sceau familial représente une grappe de raisin et un robinet de tonneau, allusion claire à la profession de débitant de vin se trouvant à l'origine du patronyme.
…et leur miraculé !
On ignore s'il appartient à cette souche-là – c'est plus que probable –, mais Theobald Weinzaepfli, qui est arrivé à Berne dans son enfance, est entré lui aussi dans l'histoire (mais plutôt la Grande), le 23 mai 1654. Ce jour-là, il est projeté par un cheval effrayé du haut de la plate-forme de la collégiale de Berne et tombe sans se tuer dans un jardin ! Le miraculé poursuit des études de théologie, et lorsqu'il rend l'âme, en 1691, une plaque vient commémorer sa mésaventure de 1654, plaque toujours apposée sur le mur de la plate-forme.
Hérauts familiaux
Ils ont pour point commun de descendre des Weinzaepflen et de se passionner pour l'histoire de leur famille : Renée Meichler-Kuentz, de Colmar, et Joseph Weinzaepflen, de Wittelsheim, se consacrent depuis des décennies à l'étude de la généalogie de leurs ascendants ungersheimois. Une passion qui s'est transmise aussi à la génération suivante, même si celle-ci peut à présent se vouer davantage à l'organisation faramineuse de la cousinade sur laquelle L'Alsace reviendra prochainement. L'histoire de la branche américaine commence avec le rêve de Romain Weinzaepflen. Né en 1813 à Ungersheim, il devient prêtre et décide en 1840 de se joindre aux nombreux émigrants. Dans l'Indiana, il s'installe à Evansville où il sera rejoint trois ans plus tard par ses frères François-Antoine et Michel. Si le premier revient à Ungersheim au bout de cinq ans, le second, devenu « Michael », épouse aux États-Unis une Alsacienne, Catherine Helfrich, et fonde une nouvelle lignée qui fleurit sous le nom de Weinzapfel. Voilà qui n'est qu'une sorte de retour du refoulé, puisque le village d'Ungersheim abritait déjà, ainsi que nous l'indiquions plus haut, des « Weinzäpfl » au début du XVIIe siècle. Rien de bien nouveau, donc, même au Nouveau Monde : les cousins d'ici et de là-bas, un moment de leur histoire, ont porté exactement le même nom. D'ailleurs, une importante branche s'épanouit depuis 1746 à Soultz, donc tout près du berceau familial, sous le nom de Weinzaepfel.